Laurent Gueneau poursuit depuis plus de quinze ans une investigation sur la présence de la nature dans la ville. Il s’attache à révéler la force de résistance opiniâtre et incontrôlable que le végétal sauvage oppose au milieu urbain hostile.
Il s’est confronté cette fois à une nature vierge et toute puissante et nous invite à pénétrer dans la forêt primaire de Daintree située en Australie, dans le Queensland. Âgée de 125 millions d’années et inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, elle est l’une des plus anciennes de la planète. Cette plongée dans un univers totalement végétal nous conduit au cœur d’un univers hors du temps qui semble celui de la Genèse. Délaissant la chambre grand format avec laquelle il a l’habitude de travailler, le photographe a choisit un matériel léger qui lui permet non de faire face à son sujet mais de s’y inclure.
Dans ce milieu humide tropical où prolifèrent arbres démesurés et fougères géantes, Laurent Gueneau se livre effectivement à une expérience d’immersion : « Plus qu’une tentative de représentation, c’est une expérience corporelle et sensorielle que je tente de traduire en images.» Un tel milieu ne s’appréhende pas que visuellement. Ce que le photographe tente aussi de capter, c’est la moiteur de l’air, les odeurs d’avant et d’après la pluie, le silence percé de bruits et de cris inconnus.
Pourtant cette échappée au cœur de la nature, ne nous éloigne peut-être pas tant de l’architecture, domaine si familier à Laurent Gueneau : « Quand je me confronte au territoire, ... je célèbre des formes architecturales » déclarait-il. Dans cette forêt de Daintree, les formes sculpturales des arbres, celles des espaces aux dimensions majestueuses, des piliers, des voutes, des ogives, des volutes renvoient au vocabulaire de l’architecture sacrée si inspirée elle-même par les formes végétales: juste mouvement de retour. Il n’est pas jusqu’aux jeux de lumière sous la pénombre de la canopée qui ne ravive le sentiment d’un déjà vécu dans quelque cathédrale. Le choix du noir et blanc (c'est-à-dire le refus du vert) , inhabituel chez le photographe, participe de ce parallèle entre le végétal avec la pierre ouvragée par l’homme.
Si les cathédrales brûlent parfois, les forêts sont de plus en plus souvent victimes de destructions volontaires ou dues au réchauffement climatique. Les incendies récents qui ont frappé l’Australie y ont anéanti 20 % des forêts, en particulier dans l’état voisin de Nouvelle-Galles du Sud. Ils nous rappellent la fragilité de ce milieu, même si son exubérante vitalité semble le vouer à une existence éternelle.
Jean-Christian Fleury
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