1 / 8

  • Frédéric Delangle, SHOP124

    Frédéric Delangle, SHOP124

  • Frédéric Delangle, titre de l'image

    Frédéric Delangle, titre de l'image

Frédéric Delangle

Microshops


Ces minuscules boutiques de quelques mètres carrés, parfois pas plus larges qu’une armoire, existent depuis des siècles un peu partout en Orient. Mais en Inde, au nombre d’environ quinze millions, elles représentent l’essentiel du tissu commercial dans les domaines de l’alimentation, de l’habillement ou d’une multitude de services. Elles offrent de plus les repères d’une présence humaine stable, disséminée dans chaque quartier des mégapoles comme des villages indiens. Intéressé par les problématiques de l’urbanisme, particulièrement dans ce pays, Frédéric Delangle s’est attaché à restituer l’identité et la fonction de ces échoppes.
En les photographiant à la tombée de la nuit, à l’instant précis où la lumière artificielle équilibre celle du jour, il nous restitue leur aspect extérieur en même temps qu’il nous révèle la vie qui se déroule au-delà de la façade, l’exercice séculaire d’un métier confiné sur la scène d’un théâtre de poche. Car ces acteurs semblent tous jouer les mêmes rôles, qu’ils soient vendeurs de fruits, d’épices ou de thé, coiffeurs, réparateurs de moto, couturiers, déboucheurs d’oreille (à vérifier, ça me semble bizarre : perceurs d’oreille ?) ou barbiers. Leurs boutiques obéissent aux mêmes impératifs esthétiques : présence de portraits de famille ou de divinités porteuses de chance de réussite commerciale, pyramides rigoureusement alignées de fruits et de légumes, ou à l’inverse entassement mystérieux de sacs anonymes, mobilier de récupération indéfiniment réparé, murs aux couleurs jadis pastel : tout cela constitue l’écrin contenant le commerçant lui-même, statufié, abîmé dans l’attente ou le sommeil, on ne sait.
Amoureux des architectures vernaculaires et de la nuit qui les révèle plus sûrement que l’agitation du jour, Frédéric Delangle travaille à la chambre 4 x 5 afin de restituer cet univers dans ses moindres détails. Le dispositif de présentation qu’il propose est celui d’un empilement de boîtes dans des boîtes qui prolifèrent en ramifications et développent un réseau arachnéen. Ainsi se trouve figuré tout un système d’échange en grande partie inaccessible à notre entendement occidental. Mais par-delà la théâtralité qui fait sourire et le charme exotique de ces boutiques, c’est la fragilité d’un monde qui se profile, menacé par la concurrence récente de la grande distribution. Combien de temps ces petites boîtes, bricolées avec les moyens du bord, continueront-elles à donner à la rue indienne son visage humain et son identité ?
Jean-Christian Fleury