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Philippe Lopparelli

D’Arthur à Zanzibar

A vingt ans, Arthur Rimbaud renonce à la littérature et consacre tout son temps à voyager avec la même frénésie qu’il avait manifestée dans l’écriture. Après onze années d’aventures, de commerce et de trafic passées en Abyssinie, il évoque régulièrement dans sa correspondance son désir de se rendre à Zanzibar, l’île mythique par où transitent vers l’océan Indien le musc, les bois précieux, l’or ou l’ivoire venus du cœur de l’Afrique, promesse de profits et d’aventures nouvelles. Toujours à la recherche d’un ailleurs fantasmé, de ce « mieux un peu plus loin » sans cesse différé, Rimbaud s’éprend de cette dernière chimère qu’il ne réalisera jamais. C’est en hommage à cette quête existentielle que Philippe Lopparelli s’est embarqué, bien réellement cette fois, pour cette « terre des Noirs » - signification du nom « Zang-ibar ».

Lopparelli est attiré par ces lieux utopiques au statut incertain : avec Zootopia et Autre Éden, il s’était aventuré dans l’univers des zoos et dans celui des TAAF, les Terres Australes et Antarctiques Françaises. Il part ici en quête d’un voyage qui n’a jamais eu lieu.

D’Arthur à Zanzibar : partir du A du poète, de sa vie et de son œuvre pour aboutir au Z final d’un rêve inabouti, refermer enfin une boucle : tel est le programme que s’est fixé le photographe. Et tout d’abord, rendre Rimbaud symboliquement présent sur l’île en déposant un exemplaire de son œuvre, jusqu’alors à peu près inconnue là-bas, à la bibliothèque de Stone Town, la capitale.
Ce Zanzibar que le poète n’a jamais connu, qu’en aurait-il perçu, retenu ? Le propos ne peut être bien sûr de reconstitution. Juste l’image d’une image, presque une mise en abîme. Dans ces visions sans cesse menacées par l’éblouissement, la réalité semble se dissoudre en reflets instables comme si seuls pouvaient aborder là-bas les bateaux ivres libérés de leurs haleurs.
Noirs et blancs tranchés, lumière qui semble émaner des choses elles-mêmes, contours insaisissables des objets et des êtres, limites imprécises du cadre : nous voici face à une image mentale. Comme dans un rêve, les personnages semblent sans consistance, les bâtiments, les paysages ne sont plus que décors, le ciel est une coupole incandescente et la mer du mercure en fusion.

S’aventurer sur les traces d’un rêve, se glisser dans les pas de « l’homme aux semelles de vent » ne se fait pas sans s’alléger à l’extrême, sans renoncer aux promesses descriptives de la photographie, à ses aspirations à la transparence pour les troquer contre son pouvoir d’évocation. La réalité de Zanzibar nous échappe et nous pouvons, comme le poète, continuer à fantasmer l’île mythique.


Jean-Christian Fleury