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Philippe Chancel

DPRK

Dans les années 80, fasciné par les pays du bloc communiste et stimulé par le défi de l’interdit, Philippe Chancel a réalisé sous le manteau plusieurs reportages en Pologne, en Roumanie ou en U.R.S.S. dans lesquels il témoignait des conditions de vie et du fonctionnement politique dans ces pays.

Si son objectif, aujourd’hui, reste à peu près identique, l’attitude et l’esthétique qu’il a adoptées sont sensiblement différentes. Avec ce portrait politique de la Corée du Nord à travers celui de Pyong Yang, sa capitale, Philippe Chancel a choisi de renoncer à contourner les interdits pour accepter les règles imposées et même restituer (ce qui ne signifie pas adopter) le point de vue de la propagande officielle afin de révéler en creux la nature du pouvoir.

Ce qui s’offre au photographe, c’est une réalité fictionnée qu’il importe de décrire aussi fidèlement que possible dans sa forme comme dans son esprit. On ne peut ici approcher la vérité que par la mise en évidence de son travestissement. Scènes de la vie quotidienne de même que grandes manifestations populaires semblent ordonnancées comme des tableaux ; tout y paraît surjoué dans la théâtralisation des attitudes, des décors, le gigantisme des espaces publics. C’est cet excès qui trahit la fiction sur laquelle repose le système, la contrainte souterraine qui s’exerce sur chacun à chaque instant.

Spectacle dans le spectacle, le Arirang constitue l’apogée de cette mise en scène du réel : cette manifestation annuelle rassemble une foule de gymnastes qui exécutent des figures complexes face à des milliers de figurants tenant des cartons de couleurs qui composent, vus de loin, des images illustrant la saga nationale. La synchronisation rigoureuse de l’ensemble implique l’intégration parfaite de l’individu au groupe qui seul fait sens. Ainsi, la réussite de ces spectacles traduit-elle la mise en œuvre stricte des principes politiques et moraux qui sous-tendent le régime.

Philippe Chancel reprend à son compte l’esthétique visuelle qui régit ce spectacle généralisé : cadrages rigoureux, symétries parfaites, usage de la contre-plongée, couleurs éclatantes. C’est dans ce redoublement que réside sa part d’intervention et d’interprétation personnelle, espace étroit situé entre deux écueils : celui de n’être qu’un simple relais du discours officiel et celui de la caricature, tentation facile à laquelle les reporters occidentaux cèdent trop souvent lorsqu’ils traitent ce sujet.

Le photographe définit ainsi son champ d’investigation : « La Corée du Nord doit être pensée comme une sorte de parc national du communisme. Vue de l’extérieur, c’est un camp d’emprisonnement. De l’intérieur, cela reste un musée à ciel ouvert où tous sont à la fois acteurs et spectateurs».  C’est en s’en tenant à une stricte observation factuelle, en partageant avec ceux qu’il photographie cette position paradoxale d’acteur-spectateur que Philippe Chancel parvient à extraire du spectacle qui s’offre à lui le principe même qui anime chacun des membres de cette société.

Jean-Christian Fleury