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  • Wroclaw, 1978

    Wroclaw, 1978

  • Photo B. Konopka 1

    Photo B. Konopka 1

Bogdan Konopka

Un Conte polonais

Durant quarante ans, Bogdan Konopka a vécu en France mais il revenait régulièrement s’immerger dans sa Pologne natale avec laquelle il entretenait une relation à la fois distanciée et affective. Il avait décidé récemment de se replonger dans ses négatifs pour en extraire un portrait subjectif de son pays qui serait aussi l’ébauche d’une autobiographie. Les lieux, les personnes, les événements qui composent ce récit éclaté lui étaient tous familiers et appartiennent à l’Histoire nationale autant qu’à son histoire personnelle. Loin de nous proposer un reportage documentaire, il nous entraîne dans un conte dont le « il était une fois » s’ouvre sur un monde disparu, celui de la Pologne communiste, pour s’achever aujourd’hui sur un pays confronté au défi de l’intégration européenne.

Bogdan Konopka menait une œuvre rigoureuse à travers laquelle il explorait les limites mimétiques de l’outil photographique. Il photographiait d’abord pour savoir ce que ce médium, en transposant le monde, peut nous dire de lui. Dans l’univers qu’il nous révélait, la présence humaine se trouvait remplacée par les traces de son passage ou de son activité qu’il enregistrait à la chambre et qu’il recueillait dans de précieux tirages obtenus par contact du négatif.
Pour réaliser ce conte polonais, il s’est libéré des contraintes qu’il s’était lui-même imposées jusqu’ici : les personnages font une entrée en masse et les formats, du carré au panoramique, se diversifient en fonction des nécessités du sujet. Son approche pudique, empreinte de la bienveillance du regard rétrospectif, nous invite à partager des expériences vécues, moments forts ou instants de rien qui font image et s’impriment dans notre mémoire. Accompagnés simplement d’un nom de lieu et d’une date, ces scènes nécessitent souvent un temps d’interprétation, comme si le réel qui nous est montré n’allait pas de soi.

Bogdan Konopka nous propose un voyage au fil de ses quarante années de photographie qu’il revisite dans l’espoir d’y trouver peut-être le tracé d’un chemin au sein de son œuvre et de sa vie. Ce chemin s’est interrompu il y a quelques mois, avec la soudaineté d’un instantané, dans la pénombre d’une chambre noire. Le voyage, parvenu à son terme, est devenu bilan. L’œuvre s’est close avec la vie. En demeurera le souvenir de ces images grises. D’un gris-Konopka comme il y a un bleu-Klein. Un gris profond à s’y perdre : celui des grains d’argent travaillés en silence par les longues poses, celui infiniment subtil du tirage par contact. C’est le gris de la poussière que le temps dépose et qui unifie toute chose, celui de la cendre sous laquelle la braise éteinte est encore chaude, celui de l’entre-deux, de la dialectique des contraires, du noir et du blanc, du passé encore palpable dans le présent et de l’avenir en germe.

Jean-Christian Fleury