Au sud-ouest de l’Ethiopie, la vallée de l’Omo abrite des pasteurs semi-nomades qui ont trouvé dans cette région difficile d’accès un refuge où perpétuer leur mode de vie. Si ces ethnies ont résisté jusqu’à présent aux tentatives d’islamisation ou de christianisation, leur culture est cependant menacée à court terme. C’est pour en témoigner que Hans Silvester a effectué de nombreux séjours dans les différentes tribus qui coexistent plus ou moins pacifiquement, et particulièrement chez les Surma et les Mursi qui perpétuent une pratique d’ornementation du corps d’une conception et d’une créativité toute particulières.
Il est de tradition en Afrique de marquer le corps, par des perforations, des scarifications, des déformations pour le différencier du reste de la création. En y inscrivant les marques codifiées de sa culture, l’homme affirme sa capacité à se créer une nature propre. La particularité des populations photographiées par Hans Silvester est leur passion décorative et la liberté qu’ils manifestent dans la création de peintures corporelles éphémères, réalisées non à l’occasion d’une cérémonie mais de manière quotidienne et gratuite, pour le seul plaisir du regard. Elles sont surtout le fait des jeunes filles désireuses de séduire ou des jeunes garçons qui rivalisent d’invention et de virtuosité en usant des deux mètres carrés de leur peau comme le ferait un peintre de sa toile. Jamais corps nus n’ont paru si habillés. Ils y inscrivent des motifs non figuratifs (il ne s’agit pas d’imiter la nature mais bien de s’en distinguer) réalisés à l’aide d’argile, de noir de fumée, de bouse de vache mélangée à de la cendre, tous matériaux éphémères. Ils y adjoignent parfois des compositions aussi complexes qu’harmonieuses faites de végétaux ou d’objets de récupération.
Le photographe s’attache à nous les montrer comme des œuvres vivantes : corps-sculptures polychromes, portraits-masques où seul le regard trahit la présence humaine, rehaussés de toutes les parures que propose la nature. Ses images aux formats de tableaux, aux qualités plastiques qui émerveillent l’œil, ne peuvent qu’inciter à se livrer au petit jeu des rapprochements avec tel ou tel peintre moderne ou contemporain. Nul hasard dans cette proximité, si l’on se souvient du rôle que « l’art nègre » joua dans l’élaboration de l’esthétique moderne : même désir de l’esprit de s’affranchir des apparences et de la contingence, de proclamer sa liberté.
Jean-Christian Fleury