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Floriane de Lassée

How Much Can You Carry?


C’est au cours d’un voyage en Afrique que l’idée de cette série est venue à Floriane de Lassée : à la vue des files de marcheurs, omniprésents aux bords des routes, transportant sur leur tête des amoncellements aussi impressionnants qu’hétéroclites d’objets, de denrées, de matériaux, voire d’animaux vivants. Il fallait les mettre en scène avec un minimum de moyens : un fond neutre en tissu pour les isoler, une prise de vue frontale sous un éclairage uniforme à une distance constante afin d’obtenir un corpus unifié. Et surtout : leur demander quels sont pour eux les objets les plus indispensables, ceux qui tiendraient entassés sur leur tête.
Commencé en Éthiopie, le projet s’est étendu au fil des ans à l’Asie et à l’Amérique latine car, hors des pays les plus développés, la file des caryatides est une figure universelle. Floriane de Lassée l’investit d’un sens symbolique : ces porteurs, le plus souvent des femmes ou des enfants, sont des métaphores de leur condition. Le poids dont leur tête et leurs épaules sont chargées est celui des structures sociales, économiques, des traditions culturelles qui régissent leur vie. L’énormité du fardeau est à la mesure de la charge morale qui les contraint, et son équilibre, visiblement très incertain, menace d’entraîner l’individu dans sa chute. Contrastant avec la gravité de ce qui se joue, la bonne humeur des modèles, leur visible complicité avec l’opérateur révèlent l’amusement et la fierté qu’ils éprouvent à se mettre en scène et à se trouver, pour une fois, au centre de l’attention.
Loin du constat social, Floriane de Lassée crée des allégories visuelles : les amoncellements qu’elle élabore ne peuvent durer que le temps de la prise de vue et évoquent des sculptures-accumulations plus que des fardeaux réels. Elle a consacré ses travaux précédents à la vie dans les grandes villes modernes, à la consommation de masse, à la solitude urbaine, mettant en scène la confrontation entre l’immensité de la ville et l’intimité fragile de l’habitat. En dépit des apparences, How Much Can You Carry? s’inscrit dans la continuité de ses préoccupations et de son parti pris esthétique de mise en scène du réel. C’est bien sur notre mode de vie que ces images nous posent question : qu’emporterions-nous, à notre tour, au long d’une route, parmi la multitude des biens « indispensables » dont nous nous entourons ?
Jean-Christian Fleury