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Luc Chessex

Cuba, si...

A vingt-cinq ans, Luc Chessex rêve d’autre chose que du confort de sa Suisse natale. De Cuba par exemple, où vient de se produire une révolution. Lorsqu’il s’embarque pour l’île, en 1961, fraîchement sorti de l’École de la Photographie de Vevey, il pense y demeurer un ou deux ans. Il en passera quatorze, témoin et acteur de moments historiques.
Le jeune homme est fasciné par l'aspect théâtral des événements, par la ferveur populaire, Il photographie les manifestations, les réunions dans les usines, toujours en noir et blanc par refus de l’exotisme et du pittoresque. A l’opposé des images de misère que véhicule la presse internationale, il veut témoigner d’une autre réalité, montrer l’adhésion du peuple à cette révolution et son affection pour son chef, Fidel Castro. En 1966, il expose à La Havane un travail sur la femme cubaine dont il donne une image bien différente de celle que propose la publicité.
Il est bientôt investi d’un rôle officiel au Ministère de la Culture, à l'agence de presse officielle Prensa Latina, comme directeur artistique de la revue Cuba Internacional.

Ces responsabilités officielles n’entravent nullement sa liberté de photographe. L’humour et l’ironie que l’on perçoit dans beaucoup de ses images les disculpent de toute velléité propagandiste. Si ses confrères cubains tiennent le plus souvent un discours épique et héroïque sur la Révolution, Luc Chessex se livre, lui, à une analyse critique de l’iconographie populaire ou officielle affichée sur les murs, où dominent les représentations de Fidel Castro ou celles du Che après sa disparition : «Ce qui m'intéressait, ce n'était pas de photographier Fidel ou le Che, mais plutôt leur reflet répandu dans le pays». Il s’interroge, non sans malice, sur la concurrence que se livrent le mythe politique que représentent la figure du Che, omniprésente en Amérique latine, et cet emblème de la publicité commerciale qu’est le soda Coca Cola. Deux formes de propagande rivales pour deux mondes que tout oppose.
En 1975, Luc Chessex est expulsé de Cuba. Une autre phase de la révolution a commencé, soumise à l’influence croissante de l’U.R.S.S. Les sympathisants étrangers d’hier sont devenus indésirables. Aujourd’hui, le photographe vit à Lausanne. Il s’est réconcilié avec Cuba où il est retourné. Il a pu y constater l’influence qu’il a exercée sur toute une génération de photographes.

La sympathie sans la louange : telle est la crête délicate sur laquelle évolue Luc Chessex. En refusant de légender ses images et d’utiliser une forme quelconque de narrativité, il souhaite laisser le spectateur libre d’interpréter chacune de ses photos qui sont souvent complexes et ambiguës, de s’interroger sur cette révolution et sur son leader. En déniant à la photographie sa prétention à être « le miroir du monde », il restitue au spectateur ses pleins pouvoirs mais aussi sa responsabilité.
« Je croyais pouvoir rendre le monde meilleur avec un appareil photo », confiait-il, désillusionné. Peut-être n’a-t-il pas totalement échoué si l’on en croit Reynaldo Gonzalez, un de ses anciens compagnons de La Havane : «Le vieux Luc nous sauve avec son arme préférée : la provocation de la pensée par l'image.»

Jean-Christian Fleury