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Anita Andrzewska

Slowly

En Birmanie, comme au Laos ou en Thaïlande, l’errance contemplative d’Anita Andrzewska nous entraîne dans un univers où l’humain, l’animal, le végétal et les choses entretiennent une relation d’étroite connivence. Loin de toute tentation journalistique, elle tient la chronique des événements minuscules, des gestes anodins qui prennent, par l’acuité de son regard, une dimension poétique et philosophique insoupçonnée.
Le pouvoir des images d’Anita Andrzewska tient autant à la matière qui les constitue qu’à la nature à la fois étrange et familière des sujets sur lesquels elle s’arrête. La lutte du noir et du blanc qui se résout ici en de denses et subtiles demi-teintes résonne comme un écho à la philosophie du Tao et à la confrontation harmonieuse du bien et du mal. L’absence de toute référence à une réalité narrative, à des situations identifiables, à tout contexte informatif nous renvoie à un regard purement subjectif, à une fascination pour la beauté des choses et des gestes du quotidien. Si Anita Andrzewska voyage beaucoup, elle semble pourtant transporter son monde avec elle, avec un mélange d’innocence et de foi.
Paysage, portrait, nature morte, scènes de vie : tous les genres sont sollicités, ensemble, comme les facettes d’une même réalité, concourant à une vision du monde unifiée et sans hiérarchies, où l’infime, le banal sont dignes de l’attention qu’on prête d’ordinaire au grandiose et à l’exceptionnel.
Ces images sont-elles documentaires ? Elles ont été prises pour la plupart en Birmanie, durant une période politiquement mouvementée dont il ne reste ici aucune trace. Elles ne témoignent que de la simple existence, de l’en-soi de ce qu’elles montrent, hors de l’histoire. Images intemporelles, certes, mais sans nostalgie d’un passé qu’on voudrait éterniser, comme tant de photographes se plaisent à le faire.
Les photographies d’Anita Andrzewska ne semblent pas des captures instantanées, des coupes à vif dans le continuum du temps mais bien plutôt des moments d’éternité en attente de témoin. À l’opposé de l’instant décisif. Les éléments de l’image semblent s’y être progressivement mis en place, suivant une disposition prévue de toute éternité et non selon la volonté de composition du photographe. Illusion que ce renversement ? Peut-être, mais quelle maîtrise pour parvenir à ce lâcher-prise !
Ces images sont sans intention qualifiable, sans autre justification que l’empathie et la patience qui ont permis leur réalisation. Silencieuses, elles défient les mots en même temps que leur puissance d’évocation les appelle. Face à elles, chacun se trouve renvoyé loin en soi-même, à ces régions enfouies où la mémoire et l’imagination se distinguent mal, où nos propres images séjournent, attendant de refaire surface à la faveur d’une rencontre.

Jean-Christian Fleury