4 / 10

  • Michaël Duperrin_2

    Michaël Duperrin_2

  • Michaël Duperrin_1

    Michaël Duperrin_1

Michaël Duperrin

Odysseus, un passager ordinaire

À mi-chemin de sa vie, Michaël Duperrin a éprouvé la nécessité de partir sur les traces d’Ulysse. Si le héros de l’Odyssée est partagé entre le désir de retrouver sa patrie après une longue absence et une curiosité qui l’entraîne malgré lui vers un enchaînement de détours et d’aventures, c’est cette seconde idée, celle d’un parcours initiatique vers la connaissance des autres et d’abord de soi-même, qui a retenu l’attention du photographe. Le mot « odyssée » qui a pris le sens de voyage aventureux ne vient-il pas du nom grec d’Ulysse ? Ce voyage se nomme Ulysse : il est une expérience et une quête de soi.

Il est bien sûr impossible de refaire le parcours décrit pas Homère et ce serait une entreprise folle que de vouloir situer dans le réel des faits mythologiques, même si pléthore de sites revendiquent aujourd’hui leur authenticité. Pour aller à la rencontre de ces lieux, Michaël Duperrin a donc tenté de recueillir des correspondances entre le mythe et la réalité actuelle. Habité par l’idée baudelairienne que « le monde est une forêt de symboles », il a reconnu les morts suppliants de l’Hadès dans les foules napolitaines qui se pressent pour prier les défunts et leur demander des faveurs ; dans les vapeurs soufrées émanant du cratère de la Solfatara, près de Pouzzoles, il a vu monter le souffle des âmes retenues dans le monde souterrain ; l’île de Nisida, avec sa citadelle et sa prison, lui a évoqué la grotte du Cyclope où furent détenus Ulysse et ses compagnons. Il retrace ainsi un itinéraire métaphorique dans un monde-miroir où se réfléchit le voyageur qui sait se laisser guider. Le photographe se montre ici fidèle à la recherche qui anime son œuvre : le besoin de donner forme à l’invisible et de recueillir la trace d’une expérience.

Si Michaël Duperrin a choisi pour cette série de recourir au cyanotype, procédé photographique ancien qui permet d’obtenir des tirages monochromes d’un bleu intense, c’est que cette couleur n’existait pas dans l’esprit des hommes de l’Antiquité qui ne la distinguaient pas du blanc, du gris, du vert ou du noir et ne l’employaient pas pour qualifier le ciel ni la mer. Le regard des anciens Grecs nous est inaccessible. Pas plus qu’on ne revient des Enfers, il n’est de retour possible vers ce qui fut. Pourtant, il est une autre propriété du cyanotype : sa capacité à se reconstituer. Une image palie, trop exposée à la lumière, peut retrouver son aspect d’origine si on la laisse reposer un temps dans l’obscurité. C’est aussi à cette plongée régénératrice que nous convie Michaël Duperrin.


Jean-Christian Fleury