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François Louchet

En attendant Dersou

Avec En attendant Dersou, François Louchet relève un défi : partir sur les traces de ce qui n’a jamais véritablement existé. Dans ses travaux précédents, essentiellement centrés sur la Seconde Guerre mondiale, il s’efforçait de restituer le témoignage visuel et fictif d’un moment historique, celui de parachutistes alliés découvrant le bocage normand au matin du 6 juin 1944, celui d’un soldat américain venu libérer le camp du Struthof en Alsace, le 23 novembre 1944, ou encore celui d’un homme pénétrant le 11 juin 1944 dans ce qu’il reste du village d’Oradour-sur-Glane dont la population vient d’être massacrée.

En mettant ses pas dans ceux des héros de Dersou Ouzala, le capitaine Arseniev, chargé de faire un relevé cartographique dans la lointaine Sibérie, et Dersou Ouzala, son guide autochtone, François Louchet tente de retrouver l’émotion qu’il a éprouvé, adolescent, à la lecture du roman autobiographique de Vladimir Arseniev, puis à la vision du film d’Akira Kurosawa qui en est issu. Du jeune topographe et du vieux chasseur animiste qui vit en harmonie avec la nature, les images de François Louchet ne nous diront rien, ni de leurs aventures. Car il est un troisième personnage, omniprésent, qui impose sa loi aux deux héros, les inspire, conduit leur relation, tour à tour les console et les terrifie : la nature. La forêt sibérienne n’est pas, dans ce récit, que décor pour l’action ; véritable démiurge, elle donne sens à l’aventure et à la vie des deux héros.

C’est un voyage imaginaire dans une taïga réinventée que nous propose En attendant Dersou. Réalisées en Normandie, près d’Honfleur où vit le photographe, ces vues panoramiques relatent le passage des saisons, laissent deviner la fermentation omniprésente de la vie en même temps que le lent et tranquille travail de la mort. Bouleaux, fougères, roseaux impénétrables, mares ténébreuses, souches centenaires, sont autant de supports universels pour l’imagination : autant de caches où séjournent peut-être les esprits des ancêtres, des bêtes ou des éléments avec lesquels Dersou sait entrer en relation.
La forêt retrouve ici la fonction qu’elle occupait dans notre imaginaire d’enfant, celle d’un monde où les choses, les événements ne se limitent jamais à leur apparence et masquent toujours une réalité invisible et plus profonde.


Jean-Christian Fleury